Blogue Axel Evigiran

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La dispersion est, dit-on, l'ennemi des choses bien faites. Et quoi ? Dans ce monde de la spécialisation extrême, de l'utilitaire et du mesurable à outrance y aurait-il quelque mal à se perdre dans les labyrinthes de l'esprit dilettante ?


A la vérité, rien n’est plus savoureux que de muser parmi les sables du farniente, sans autre esprit que la propension au butinage, la légèreté sans objet prédéterminé.

Broutilles essentielles. Ratages propices aux heures languides...


24 août 2014

Eric Teyssier - La mort en face - Le dossier gladiateurs (Le salon noir). Du mirmillon au Thrace.

Eric Teyssier - La mort en face
Le dossier gladiateurs (Le salon noir). Du mirmillon au Thrace.




Un très beau livre ; détaillé avec moult illustrations.


Plutôt que mes notes de lectures je propose de retranscrire l’essentiel d’un entretien avec l’auteur, lors de l’émission " Le salon noir " sur France Culture le 31 mars dernier.

  " Ave Caesar, morituri  te salutant "  




La gladiature romaine est-elle un phénomène unique de la monde antique ?
C’est au contraire quelque chose de très partagé, quelque chose qui remonte à des temps anciens, puisque Homère déjà en parle au moment de la mort de Patrocle, où on organise des jeux funéraires, et donc un combat, de ce qui ne s’appelle pas encore un combat de gladiateurs, mais qui en a toutes les apparences. Ensuite les italiens reprendront ça, les Etrusques, et même Hannibal va organiser un combat de gladiateurs. On retrouve ça aussi dans le monde celte, dans le monde ibérique. Donc les combats ritualisés, les combats mis au spectacle constituent quelque chose de caractéristique des mondes antiques.

Quel est son origine ?
C’est une origine funéraire, rituelle. Il importe de commémorer un personnage illustre qui disparaît. Et puis au moment de ses obsèques les grecs, c’est le cas dans l’Iliade, organisent des jeux funèbres ; il peut y avoir des courses de chars, de chevaux, différentes épreuves de type olympiques, et également des combats avec des armes, avec des panoplies complètes de guerriers, où le sang peut couler où la mort peut être au rendez-vous.
Si on prend l’exemple des romains, cela commence au troisième siècle avant notre ère, et deux fils à l’occasion des obsèques de leur père vont proposer le combat de trois paires de combattants sur le forum romain ; en public devant la cité rassemblée.

Quelle est la place du sacrifice dans le monde romain ? 
Les romains ne recourent pas, sauf vraiment de manière exceptionnelle, au sacrifice. Ils sont même plutôt assez critiques sur les peuples qui pratiquent les sacrifices humains. Donc on n’est pas dans cette optique là. On est plutôt dans la commémoration, plutôt que dans l’idée de faire forcément couler le sang d’une victime qui est sacrifiée de toute évidence. Dans la gladiature il y a l’idée qu’au moins un des deux, en tout cas, s’en sort.



Que faites vous dans ces cas là des sacrifiés aux fauves ?  
C’est autre chose. Ce n’est pas du tout le problème de la gladiature qui a longtemps pâtit d’une conjonction de différents phénomènes qui se passent dans le même lieu. Là on est déjà dans la gladiature plus tardive, celle du haut Empire, où l’on a dans le même lieu, c’est à dire l’amphithéâtre, un monument qui a été spécifiquement élaboré pour les gladiateurs, le matin des chasses, des combats d’hommes contre fauves, qui sont souvent des professionnels de la chasse contres des fauves, de fauves entre eux, et en suite, dans les condamnés de midi, on a ce qui constituent véritablement des condamnations à mort, avec toute la variété, toute la subtilité, toute l’imagination que les romains peuvent apporter sur les supplices. Mais ce qui compte vraiment, c’est l’après midi, les combats de gladiateurs, qui eux se distinguent toujours de ce qui s’est passé auparavant. On a longtemps confondu l’idée du gladiateur qui pouvait être un condamné à mort, donc un sacrifié, alors que si l’on rentre non plus dans une vision moralisatrice de la gladiature, mais dans une vision technique, on s’aperçoit que les gladiateurs sont de véritables spécialistes. Un condamné à mort ne donnera jamais un bon combat. Il aura peur, il voudra s’échapper. Ce n’est pas ce qu’on attend de lui. Cela serait un manque total de professionnalisme.



   
Issue d’un rite funéraire, dans quelles conditions la gladiature se désacralise-t-elle ? 
Elle ne se désacralise jamais totalement. Et même les chrétiens, qui parlent de la dernière gladiature, l’associent à des rituels païens, ce qui prouve qu’elle n’a jamais perdu totalement son caractère sacré et rituel. Même tardivement, au deuxième siècle, on a encore des empereurs romains qui organisent des jeux de gladiateurs, spécifiquement pour commémorer les funérailles de leurs épouses. Par contre il est vrai que la gladiature a tendance a se désacraliser dès la fin de la République. Il y a deux façons de la désacraliser : 1) en devenant de plus en plus une commémoration patriotique, c’est à dire qu’à l’issue de combats victorieux on prend l’équipement de l’adversaire, on les mets en scène dans un combat qui devient plus spectaculaire que rituel. 2) La gladiature devient de plus en plus un argument politique. Lorsqu’on veux faire une carrière à Rome, et c’est le cas avec césar par exemple, il est de bon ton d’offrir à titre privé un très beau combat de gladiateurs, pour s’attirer les faveurs de la plèbe. Cela contribue à maintenir et entretenir le lien direct entre le donateur (l’évergésie) et le peuple qui va remercier l’homme politique.
     
Qu’est-ce qu’un beau combat ?  
Il y a de tout dans la gladiature. On parle parfois de gladiateurs à deux sous, lessesterceriaristes, des gladiateurs très médiocres. Alors un bon, ou un beau combat, il y a deux époques : avant et après Spartacus. Avant, Spartacus, ce qui compte le plus c’est la quantité. On voit qu’il y a une croissance du nombre de paires de gladiateurs. Le premier combat sur le forum en 264 Av JC c’est trois paires de gladiateurs et César va offrir lui, trois cent paires de gladiateurs. Puis après on se rend compte avec Spartacus que ça devient dangereux d’avoir en permanence des milliers d’hommes qui sont destinés à la gladiature. On voit ce que ça coûte d’avoir des hommes entraînés, qui sont souvent des prisonniers de guerre et qui vont pouvoir se révolter et tenir en échec pendant deux ans les armées romaines. Je pense que c’est à partir de là qu’on voit évoluer la gladiature vers une gladiature qui est plus technique, alors que la précédente était plus ethnique. On va aller vers des spécialistes de la gladiature, avec une distinction de plus en plus fine de ces techniciens du combat. A ce moment là, à partir d’Auguste, ce qui va constituer un beau combat, c’est un praticien qui maîtrise totalement son armatura, c’est à dire son type de gladiateur, sa panoplie, son équipement, et qui va faire vibrer le public par des passes extraordinaires, et qui va montrer un véritable courage, un mépris de la mort, jusqu’à l’instant fatal.   

Rentrons dans l’arène, voyons un peu les types de gladiateurs…   
Le Mirmillon est l’un des grands gladiateurs. Il a été mis en scène par ce tableau très célèbre de Gérôme. Suivant les époques il peut avoir des adversaires différents, mais il va se stabiliser au premier siècle de notre ère, et il sera l’adversaire systématique du Thrace. A cette époque là, la gladiature est devenue technique, c’est à dire que l’on va opposer, dans le cas présent, les contraires : le Mirmillon se distingue par un grand bouclier, le Thrace par un petit bouclier (le Scutum contre la Parma). Cela induit un type de combat tout à fait différent. Le Mirmillon à également un glaive court et droit, le Thrace à un glaive courbe d’origine orientale. On a deux combattants qui sont à armes égales, c’est à dire équilibrées, il n’y en a pas un qui va systématiquement perdre sinon cela ne serait pas drôle, mais qui vont devoir déployer des techniques de combats complétement différentes l’une de l’autre. On voit les gens qui se passionnent, avec ceux qui sont partisans du petit bouclier et ceux qui sont partisans du grand bouclier.  
Le Provocator combat contre lui-même. C’est toujours un Provocator contre un Provocator. On pense que c’est un type de gladiateur débutant. Il n’apparaît jamais sur les affiches de spectacles. C’est un type d’Armatura où les jeunes gladiateurs font leurs premières armes, commencent à avoir les rudiments de la gladiature, et ensuite vont se positionner sur un type particulier de combat.  
Le Rétiaire est le plus fameux, le plus facile à reconnaître. C’est un gladiateur tout à fait redoutable puisqu’il a, à la fois, un trident et un filet. Il a aussi une dague. Il doit donc maîtriser trois armes différentes. Il combat sans casque, sans bouclier, sans protections de jambes. Cela fait souvent dire aux auteurs que ce gladiateur est finalement un sous gladiateur ; quelqu’un qui était mal équipé, que c’était un pauvre bougre qu’on avait équipé comme ça. Or quand on voit, par l’expérimentation, la complexité qu’il y a de maîtriser, face à un adversaire qui n’est pas immobile, trois armes, on voit que le rétiaire est au contraire un grand spécialiste, c’est quelqu’un qui est au sommet de la technique des gladiateurs, et qui en plus a un rapport particulier avec le public, puisque c’est le seul qui va combattre à visage découvert. C’est probablement le plus dangereux, c’est celui qui donne le plus de fil à retordre ; on le crée sous Octave, mais on va vraiment trouver un adversaire à sa mesure seulement à l’époque des Flaviens, le Secutor, qui va se distinguer par un type de casque tout à fait exceptionnel ; extrêmement épais sur la protection faciale, avec un cimier profilé, tout à fait adapté au lancé du filet. C’est un casque sans aspérité et qui permet de se débarrasser du filet en combat, s’il n’a pas été positionné de manière parfaite.
   
Les Tiro ?  
A partir de Spartacus ne sont plus systématiquement des esclaves qui sont gladiateurs, et on voit apparaître ce qu’on appelle l’Octoratus, qui est l’homme libre, parfois de milieu aristocratique, qui s’engage volontairement dans une carrière de gladiateur avec tous les risques que ça comporte. Ce qui montre l’attrait de la gladiature sur la société romaine dans son ensemble. Et le Tiro, c’est le jeune, celui qui commence sa carrière, et qui va aborder son premier combat. Il n’a pas de palmarès. Il ne vaut rien sur le plan de son statut, et donc s’il faut sacrifier quelqu’un cela sera celui-là. S’il faut que l’éditeur verse le sang, il aura évidemment beaucoup plus de facilité à condamner un jeune Tiro qui aura été peut être impressionné lors de son premier combat, qui n’aura peut être pas été très courageux, et donc il n’en fera pas un deuxième parce que l’enjeu financier sera moindre que si on sacrifie un gladiateur qui serait un vieux briscard avec beaucoup de combats victorieux à son actif.     

Il y aura des sénateurs, et même des Empereurs gladiateurs ; Commode sera gladiateur…   
La gladiature touche toute la société. Elle va de l’esclave à l’Empereur. Les romains font à plusieurs reprise des lois pour lnterdire aux sénateurs, aux fils de sénateurs, aux fils de chevaliers, et même aux filles de sénateurs, de rentrer dans la carrière gladiatorienne, ce qui prouve bien que cela attirait tout le monde. Et si on refait les lois ça prouve bien qu’elles n’ont pas été appliquées. Certains Empereur ont combattus comme gladiateurs, Caligula par exemple en tant que Thrace, et surtout Commode. Commode qui va finir par faire la caricature de la gladiature, en combattant accompagné du chef de la garde prétorienne, avec des armes acérées, alors que ses adversaires sont avec des armes non tranchantes. Il peut donc se targuer de centaines de victoires, mais ce n’est plus qu’une sinistre caricature plus qu’une réalité du combat.



Il y a aussi la Ludia, qui désigne une femme de mauvaise vie, mais aussi une gladiatrice…   
C’est l’un des grands fantasmes de la gladiature. Elle est attestée. On a très peu de représentations de ces femmes gladiatrices. Elles existent au moins du premier siècle jusqu’au troisième siècle après JC. La Ludia c’est à la fois la femme qui fréquente le Ludus, c’est à dire l’école des gladiateurs, parce que les gladiateurs ont une réputation qui est bien établie à l’époque antique, avec par exemple des graffitis sur les murs de Pompéi, où l’on dit que tel gladiateur est le soupire des pucelles. Il y a donc ces Ludia qui fréquentent les Ludus. Elles peuvent être d’ailleurs de tous les niveaux sociaux, et il y a aussi la femme gladiatrice, celle qui va revêtir certaines Armaturae , pas toutes ; certaines sont plus ou moins bien adaptées à une musculature féminine. Mais on connaît des femmes qui sont Provocatrices, des Thraces, ou qui ont combattues sur des chars.


Pour Sénèque la gladiature est une école du courage face à la mort : " Ave Caesar, morituri te salutant ". Quellle est la place exacte de la mort dans le spectacle ?  
Si la mort était systématique comme on la montre dans les péplums, cela n’aurait pas tenu en haleine les romains pendant des siècles. Autant aller aux abattoirs. La mort est bien présente, mais c’est très ritualisé. C’est à dire que tout le monde ne meurt pas. C’est difficile de faire des statistiques, mais peut être 10 à 15 % de morts par combats qui sont offerts. C’est toujours au fond le public qui décide et l’éditeur qui tranche. Le public par différents signes peut donner son avis sur celui qui a été vaincu ; le but n’est pas de tuer son adversaire, mais de le pousser à bout, de l’obliger à déposer les armes, à mettre sa vie entre les mains du public. Et donc suivant que le combattant a été un exemple de courage ou pas, il sera renvoyé, ou il ne sera pas renvoyé et à ce moment là il sera tué dans des formes ritualisées comme on le voit dans certaines représentations de l’époque. 



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