Blogue Axel Evigiran

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La dispersion est, dit-on, l'ennemi des choses bien faites. Et quoi ? Dans ce monde de la spécialisation extrême, de l'utilitaire et du mesurable à outrance y aurait-il quelque mal à se perdre dans les labyrinthes de l'esprit dilettante ?


A la vérité, rien n’est plus savoureux que de muser parmi les sables du farniente, sans autre esprit que la propension au butinage, la légèreté sans objet prédéterminé.

Broutilles essentielles. Ratages propices aux heures languides...


10 nov. 2014

Cercles autour d’un bonheur parfait de James Salter. De l'amour et des désirs...

Goélands (photo par Axel


« Ailés comme les mouettes, nous nous élançons dans les airs, faisons volte-face »

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Automne 1958. Viri est un architecte qui aurait pu réussir. Il n’est certes pas si mal loti, est encore jeune. Mais la réussite ?… Il est intelligent. Mais « le savoir ne nous protège pas. La vie méprise le savoir ; elle le force à faire antichambre, à attendre dehors. La passion, l’énergie, les mensonges, voilà ce que la vie admire. » P50

Son épouse, Nedra, s'affaire à la cuisine. leurs amis vont arriver....
« Un soir de novembre, immémorial, limpide. De la truite fumée, du mouton, une salade d’endives, une bouteille de margaux ouverte sur la desserte. Le dîner était servi sous une lithographie de Chagall : la sirène au-dessus de la baie de Nice. » (P 16)
Ils ont deux filles de sept et cinq ans. Un bonheur parfait avec « Une belle vie du dehors, chaude à l’intérieur, comme un vêtement » P 94
La soirée déroule ses langueurs. Nedra est belle et déteste se lever tôt…
« Ils avaient bu tout le vin. L’intérieur des bouteilles avait la couleur des nefs de cathédrale » P20.
Sur le chemine du retour Catherine, mi-figue mi-raisin lance à son époux :
« La prochaine fois que tu te maries, tu devrais choisir une femme comme elle…
-         Que veux-tu dire ?
-         -Ne t »’affoles pas. Tu aimerais vivre comme ça, c’est clair.
-         Ne dis pas de bêtises ;
-         D’ailleurs je pense que tu devrais le faire.
-         C’est une femme très généreuse c’est tout.
-         Généreuse ?
-         Oui, dans le sens riche, abondante.
-         C’est la femme la plus égoïste du monde. »
. . . . .

« Il s’était instruit de la manière la plus simple qui fût : en lisant. Jamais de romans, seulement des journaux intimes, des lettres, des biographies de grands hommes » p82.
C’est Jivan, ami de Viri et de Nedra. De Nedra surtout d’ailleurs, dont il est devenu l’amant. Discret, proche des enfants, il est resté célibataire, ne vit qu’au travers un espoir informulé. Désespoir du quotidien, « avec des déjeuners sur une nappe à carreau bleus où quelqu’un a renversé du sel » P 36.
Jivan aime les oiseaux, mais encagés, dressés. A la manière de Robinson Crusoé.

« Il avait des oiseaux dans une cage et un perroquet gris qui déployait ses ailes.
Perruchio, disait Jivan, fais l’ange.
Rien.
L’ange répétait-il. Fa l’angelone.
Tel un chat qui sort ses griffes, le perroquet étendait alors ses ailes et ses plumes. Sa tête se tournait de profil, montrant un œil noir impitoyable. » P81.

Nedra, quant à elle, étale ses  plumes comme des dessous chics... Et « a midi, deux fois par semaine, et parfois plus, se couchait dans son lit. (…) Elle était perdue, elle pleurait. L’amour avait le rytme régulier d’un monologue, d’une paire d’avirons qui grincent. Elle n’en finissait pas de crier, les mamelons durcis. On aurait cru entendre une jument, un chien, une femme qui s’enfuit pour sauver sa vie…. » p 84 – 85

Elle quittera Jivan. Comme ça. Pour André. Par lassitude.
Il ne comprendra pas. Il aura mal.
Mais nous n’en sommes pas encore là.
. . . . .

Les années passent. Les enfants grandissent. 
« Les enfants sont notre récolte, nos champs, notre terre. Ce sont des oiseaux lâchés dans l’obscurité. Des erreurs renouvelée » P93
Sans oublier le chien, qui vieillit. Le poney, tranquille…
. . . . .

Un nouvel été survient…. « le midi des familles unies. C’est l’heure silencieuse, quand on n’entend que des cris d’oiseaux de mer » (P 57)
Viri a désormais une maîtresse. Kaya. « Elle habitait dans l’appartement d’un journaliste absent pour un an » (p 63).
Le premier soir, après l’amour il rentre chez lui, légèrement inquiet. « Nedra était assise à une table de la salle de séjour, des notes étalées autour d’elle. Elle écrivait » (p 67). Elle lui propose un verre. Il accepte. Elle ne se doute de rien, pense-t-il…

Il revoit Kaya. Encore et encore. L’habitude s’installe.
« Peu à peu, sa vie se scindait. Il est vrai qu’il paraissait le même, absolument le même, mais c’est souvent le cas. La dégradation est cachée, elle doit atteindre un certain stade avant de crever la surface, avant que les piliers ne commencent à céder, les façades à s’effondrer. Son nouvel amour était comme une blessure » P 108.
Jusqu’au jour, ou arrivé trop tôt il la surprend avec un autre homme…
Fin de l’histoire.
. . . . .




Un jour, en voiture, Nedra lance à son mari :

« ‘Es-tu heureux Viri ?’ demanda-t-elle.
(…)
Etait-il heureux ? Il saisit le flacon ouvert (…). Il s’éclaircit la voix.
‘Je crois que oui’
(…)
‘Mais c’est une idée stupide, n’est-ce pas, quand on y pense’, dit-elle.
-         Quoi ? Le bonheur ?
-         Sais-tu ce que dit Krinhnamurti ? Consciemment ou inconsciemment, nous sommes foncièrement égoïstes et tant que nos désirs sont satisfaits, nous pensons que tout va bien.
-         Tant que nos désirs sont satisfaits…. Mais est-ce là le bonheur ?
-         Je ne sais pas. Tout ce que je sais, c’est que, lorsqu’on obtient pas ce qu’on veut, on est malheureux »
P 97-98

Nedra se confie peu après à une amie :
« Je ne suis pas matérialiste, tu le sais. Enfin… sans doute le suis-je après tout. J’aime les beaux vêtements et la bonne nourriture, je déteste les bus ou les endroits déprimants. Avoir de l’argent, c’est très agréable. J’aurai dû épouser quelqu’un de riche. Viri ne le sera jamais. Ja-mais. C’est terrible, tu sais, d’être liée à quelqu’un qui ne peut pas te donner ce que tu veux. » P 101
. . . . .

Viri, lui, perd un peu de son flegme. Las du mensonge, les événements lui échappent. Il évoque André. 
La scène se déroule dans la cuisine :

« Quand Viri mentionna André (…) Nedra répondit calmement qu’elle le trouvait intéressant.
-         intéressant dans quel sens ?
-         Oh, Viri, tu comprends très bien ce que je veux dire.
-         Plus intéressant que Jivan ?
-         Non, pour être franche. Non.
-         Je n’y peut rien, mais ça me perturbe.
-         Ce n’est pas tellement important, assura-t-elle.
-         Ces choses… Je suis sûr que tu te rend compte de ces choses, faites ouvertement…
-         Oui ?
-         … peuvent profondément marquer les enfants.
-         J’y ai pensé, admit-elle.
-         Mais tu n’as certainement rien fait pour y remédier.
-         J’ai fait un tas de choses.
-         C’est censé être drôle ? cria-t-il.
-         Il se leva brusquement, tout pâle, et alla dans la pièce voisine. »
. . . . .

James Salter

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Ainsi se déroule ce roman, dont je ne viens de révéler, pour inciter à le lire, que le premier tiers. Un roman merveilleux et déprimant tout à la fois de James Salter… 
A nous tirer les larmes…
A loisir de chacun de s’y transposer à sa manière. D’y voir une fiction bien écrite ou l’histoire éternelle de nos misères… Tragédie ordinaire sur fond d’insatisfaction foncière ; d’égoïsme forcené. De doutes et de chimères aussi…

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Je l’avait lu, une première fois, en novembre 2013. Puis  me suis apprêté pour le relire, dans un tout autre état d’esprit, ces jours derniers (1er novembre, jour de fête). 
Novembre saison propice… Sur la terrasse, contre le mur ouest de mon refuge, à profiter des derniers rayons de soleil tel un vieux lézard qui sait ses belles années fanées…
A cette heure je n’ai pas eu le cœur à le finir…

Entre deux eaux, à flotter « ….dans le bain tiède de la vie » P42


6 commentaires:

  1. Tiens, Krishnamurti, encore lui (au passage, une petite coquille dans son nom), mais est-il question de Jiddu ou d' U.G. ? Vu la date de sortie de ce roman et étant donné que le premier était alors bien plus connu que le second (ce qui est encore le cas à l'heure actuelle), il doit s'agir de Jiddu Krishnamurti. Ma préférence allant clairement à U.G. J'ai découvert en premier Jiddu qui disait que "la vérité est un pays sans chemin" tout en développant une organisation autour de lui, une ambition de parler au plus grand nombre, bref en indiquant un chemin, presque une méthode ; puis je suis tombé sur U.G. qui dit qu'il n'y a ni chemin, ni vérité, ni quoi que ce soit de cet ordre..., ce qui me plaît davantage et me semble bien moins hypocrite.

    J'ai détecté d'autres coquilles, si vous le souhaitez, je vous les indique, mais elles n'ont évidemment aucune espèce d'importance, et puis une simple relecture vous permettrait de les débusquer, vous n'avez pas besoin de moi. ;-)

    Je vous souhaite une belle journée.


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    1. Bonjour Cédric,


      Je vais peut-être vous surprendre mais je ne sais rien de ce Krishnamurti (dans esprit Krishna est juste associée à une secte).
      La citation que lui prête Nedra dans le roman m’apparait par contre tout à fait pertinente – et correspond assez bien à ce que j’ai pu constater dans mon environnement immédiat ces mois derniers…

      « Consciemment ou inconsciemment, nous sommes foncièrement égoïstes et tant que nos désirs sont satisfaits, nous pensons que tout va bien. »

      C’est même tout à fait ça.
      Et que dire lorsque la personne se mue en éternelle insatisfaite, et que tout ce ressentiment (au fond envers soi-même, et projeté sur autrui) accumulé explose d’un coup, cela fait des dégâts monstrueux…

      Bien à vous ;
      Axel

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    2. Bonsoir Axel,

      "Krishnamurti" est un nom assez répandu en Inde, un peu comme "Durant" ou "Dupont" en France. Et les deux Krishnamurti en question sont plutôt du genre à fustiger toutes les formes de sectes et même de religions, surtout U.G. ;-)

      Oui évidemment, l'être humain aime quand ses désirs sont satisfaits et n'aime pas quand ses désirs ne sont pas satisfaits, définition même de l'"ego", du "je veux"...

      Tout ce que je peux vous dire c'est qu'au-delà de tous ces "je", tous ces "jeux de l'ego" ( "je" de construction) il y a l'amour. L'amour est ce que nous sommes. L'amour est la vie.

      Bonne soirée à vous.

      Amicalement.

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    3. Cédric,

      Des expressions telles « l’amour est ce que nous sommes », ou « l’amour est la vie » m’apparaissent vides de sens – Et cela sans considération pour ma situation actuelle.
      Je trouve ces expressions valises ou le mot amour pourrait être remplacé avec autant de fortune par égoïsme, guerre, lâcheté, l’être, persévérance dans l’être, envie, etc…

      J’aime d’ailleurs assez cette citation de Chamfort ce thème :

      « L’amour plaît plus que le mariage, pour la raison que les romans sont plus amusants que l’histoire. »

      L’amour comme roman, come fiction donc convient assez bien au réel comme il va.
      Et pour ceux qui s’y accrocheraient néanmoins comme à la prunelle de leurs yeux, il leur faut savoir que « L'amour est un commerce orageux qui finit toujours par une banqueroute. » ( citation du même - Maximes et pensées)

      Très bon début de journée à vous
      Amicalement

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    4. Bonjour Axel,

      Oui, ce genre de mots et d'expressions, il faut les voir et les comprendre par soi-même pour qu'elles ne semblent pas vides de sens. Et je comprends parfaitement que ça ne vous apparaisse que comme étant des mots et seulement des mots sans rien de "concret" derrière. Les mots "amour" et "vie" qu'est-ce que c'est au final ? Tout dépend de la définition qu'on en donne, tout dépend de ce qu'on fait dire à ces mots.

      Et puis que vous compreniez "intellectuellement" ces mots et ces expressions comme je les comprends, ça ne changerait rien pour vous, il faut les ressentir dans sa propre chair. Inutile que je me mette à entrer dans le détail de ce que j'entends par "vie" par "amour" par "l'amour est la vie" par "l'amour est ce que nous sommes". Et puis surtout, je n'ai rien à défendre, aucun mot, aucune idée, aucune pensée, je n'ai aucune "bonne nouvelle" à propager. ;-) D'autres se sont déjà amusés à ce genre de choses par le passé (et encore actuellement), ils en ont même fait des bouquins. ;-) Je n'appartiens à aucune chapelle, pas même la mienne.

      De toute façon, il faut commencer par remettre toutes ces histoires de Dieu, d'" amour", de croyances, de "l'autre est ton frère", de bonne parole, de Jésus, et j'en passe, en question, tout mettre au feu et regarder par soi-même pour soi-même avec ses propres yeux. C'est en tout cas ce que j'ai fait : Remettre en question tout ce qu'on a voulu me fourguer dans la tête depuis l'enfance à propos de "dieu" de "jésus" de "l'amour", de toutes ces histoires.

      Je ne peux donc que vous encourager à remettre mes mots en question. ;-) Et de voir par vous-même si ce sont des mots creux ou pas. :-)

      Bref, les questions essentielles "Qu'est-ce qu'on fout ici ?" "À quoi ça sert de vivre ?" "Qu'est ce que nous sommes ?" il faut y répondre par soi-même, personne ne peut répondre à notre place à ces questions, ou alors ce ne seront que des croyances, des idées de seconde main (ou en l'occurrence de "second cerveau"). Moi, j'ai cherché seul, et la réponse est venu toute seule : je suis de la vie, rien d'autre que de la vie, je suis cette énergie (que j'appelle aussi "amour"), vivre ne sert à rien en effet (puisqu'il n'y a rien à accomplir, et que rien ne sera retenu de nos faits et gestes, l'univers ne retiendra rien de notre vie), mais mourir encore moins, et puis il est impossible de mourir puisque je ne serai toujours que cette énergie, qu'elle se manifeste à travers moi ou d'autres, ça ne change rien, cette énergie ne meurt pas.

      J'ai compris que j'étais de la vie, et que rien ni personne ne pourra jamais rien contre ça, pas même "moi".

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    5. (suite)

      J'ai compris qu'il n'y avait rien à perdre à vivre, rien à perdre à se déployer pleinement tel que l'on est, à s'exprimer pleinement tel qu'on le sent, rien à perdre à s'épanouir, puisque de toute façon même si on se "trompe" rien ne sera retenu de nos faits et gestes humains. :-)

      Voilà pourquoi j'ose écrire comme j'écris, quel que soit ce qu'on pense de ce que j'écris, je n'ai plus aucune peur des mots de qui que ce soit, plus aucune peur de m'exprimer tel que je le ressens dans l'instant.

      Pas même peur d'écrire "l'amour est la vie". :-) Pas peur que celui qui lit ça se dise "il est complètement barré ce type ! il se prend pour Jésus ou quoi ! " ou " comment ose-t-il écrire ça ? ça confirme que les cons ça osent tout et que c'est même à ça qu'on les reconnait ", on peut me "traiter" de ce qu'on veut : de "crétin" de "con" de "finaud (suivez mon regard ;-) )" , je m'en fous. ;-)

      Je vous souhaite une journée d'amour cher Axel ! :-)

      Que l'amour vous emplisse ! Vous êtes amour ! :-)

      Amicalement.

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